Les Anciens adoraient le soleil sous la forme d'une pierre noire qu'ils nommaient Elagabale ou Héliogabale.
Que signifiait cette pierre, et comment pouvait-elle être l'image du plus brillant des astres ?
Les disciples d'Hermès, avant de promettre à leurs adeptes l'élixir de longue vie ou la poudre de projection, leur recommandent de chercher la pierre philosophale.
Qu'est ce que cette pierre, et pourquoi une pierre ?
Le grand initiateur des chrétiens invite ses fidèles à bâtir sur la pierre, s'ils ne veulent voir leurs constructions renversées.
Il se nomme lui-même la pierre angulaire, et il dit au plus croyant de ses apôtres :
" Appelle-toi Pierre, car tu es la pierre sur laquelle je bâtirai mon Eglise ".
Cette pierre, disent les maîtres en alchimie, c'est le vrai sel des philosophes, qui entre pour un tiers dans la composition de l'azoth.
Or Azoth est, comme on sait, le nom du grand agent hermétique et du véritable agent philosophal; aussi représentent-ils leur sel sous la forme d'une pierre cube, comme on peut le voir dans les douze clefs de Basile Valentin ou dans les allégories du Trévisan.
Qu'est-ce donc, en vérité, que cette pierre ?
C'est le fondement de la philosophie absolue, c'est la suprême et inébranlable raison.
Avant de songer à l'oeuvre métallique, il faut être à jamais fixé sur les principes absolus de la sagesse, il faut posséder cette raison qui est la pierre de touche de la vérité.
Jamais un homme à préjugés ne sera le roi de la nature et le maître des transmutations.
La pierre philosophale est donc avant tout nécessaire; mais comment la trouver ?
Hermès nous l'apprend dans sa table d'émeraude.
Il faut séparer le subtil du fixe, avec un grand soin et une attention extrême.
Ainsi nous devons dégager nos certitudes de nos croyances et rendre bien distincts les domaines respectifs de la science et de la foi; bien comprendre que nous ne savons pas les choses que nous croyons, et que nous ne croyons plus aucune des choses que nous parvenons à savoir, et qu'ainsi l'essence des choses de la foi, c'est l'inconnu et l'indéfini, tandis qu'il en est tout au contrairen des choses de la science.
On en conclura que la science repose sur la raison et l'expérience, tandis que la foi a pour base le sentiment et la raison.
En d'autres termes, la pierre philosophale, c'est la vrai certitude que la prudence humaine assure aux recherches consciencieuses et au doute modeste, tandis que l'enthousiasme religieux la donne exclusivement à la foi.
Or, elle n'appartient ni à la raison sans aspirations ni aux aspirations déraisonnables; la vrai certitude, c'est l'acquiescement réciproque de la raison qui sait au sentiment qui croit, et du sentiment qui croit à la raison qui sait.
L'alliance définitive de la raison et de la foi résultera non de leur distinction et de leur séparation absolues, mais de leur contrôle mutuel et de leur fraternel concours.
Tel est le sens des deux colonnes du portique de Salomon, dont l'un s'appelle Jakin et l'autre Bohas, dont l'une est blanche et l'autre noire.
Elles sont distinctes et séparées, elles sont même contraires en apparence; mais, si la force aveugle veut les réunir en les rapprochant, la voûte du temple s'écroulera : car, séparées, elles ont une même force; réunies, elles sont deux forces qui se détruisent mutuellement.
C'est pour la même raison que le pouvoir spirituel s'affaiblit dès qu'il veut usurper le temporel, et que le pouvoir temporel périt victime de ses empiétements sur le pouvoir spirituel.
Grégoire VII a perdu la monarchie.
L'équilibre humain a besoin de deux pieds, les mondes gravitent sur deux forces, la génération exige deux sexes.
Tel est le sens de l'Arcane de Salomon, figuré par les deux colonnes du temple, Jakin et Bohas.
Le soleil et la lune des alchimistes correspondent au même symbole et concourent au perfectionnement et à la stabilité de la pierre philosophale.
Le soleil est le signe hiéroglyphique de la vérité, parce que c'est la source visible de la lumière, et la pierre brute est le symbole de la stabilité.
C'est pourquoi les anciens mages prenaient la pierre Elagabale pour la figure même du soleil, et c'est pour cela aussi que les alchimistes du moyen âge indiquaient la pierre philosophale comme le premier moyen de faire l'or philosophique, c'est à dire de transformer toutes les puissances vitales figurées par les six métaux en soleil, c'est à dire en vérité et en lumière, première et indispensable opération du grand oeuvre, qui conduit aux adaptations secondaires, et qui fait, par les analogies de la nature, trouver l'or naturel et grossier aux créateurs de l'or spirituel et vivant, aux possesseurs du vrai sel, du vrai mercure et du vrai soufre philosophiques.
Trouver la pierre philosophale, c'est donc avoir découvert l'absolu, comme le disent d'ailleurs tous les maîtres.
Or, l'absolu, c'est ce qui n'admet plus d'erreurs, c'est le fixe du volatil, c'est la règle de l'imagination, c'est la néccessité même de l'être, c'est la loi immuable de raison et de vérité; l'absolu, c'est ce qui est.
Or ce qui est est en quelque sorte avant celui qui est.
Dieu même n'est pas sans raison d'être et ne peut exister qu'en vertu d'une suprême et inévitable raison.
C'est donc cette raison qui est l'absolu; c'est à elle que nous devons croire, si nous voulons que notre foi ait une base raisonnable et solide.
On a pu dire de nos jours que Dieu n'est qu'une hypothése, mais la raison absolue n'en est pas une : elle est essentielle à l'être.
Saint Thomas a dit : " Une chose n'est pas juste parce que Dieu la veut, mais Dieu la veut parce qu'elle est juste ".
Si saint Thomas avait déduit logiquement toutes les conséquences de cette belle pensée, il eut trouvé la pierre philosophale, et, au lieu de se borner à être l'ange de l'école, il en eût été le réformateur.
Croire à la raison de Dieu et au Dieu de la raison, c'est rendre l'athéisme impossible.
Ce sont les idolâtres qui ont fait les athées.
Lorsque Voltaire disait : " Si Dieu n'existait pas, il faudrait l'inventer ", il sentait plutôt qu'il ne comprenait la raison de Dieu.
Dieu existe-t-il réellement ?
Nous n'en savons rien, mais nous désirons que cela soit, et c'est pour cela que nous le croyons.
La foi formulée ainsi est la foi raisonnable, car elle admet le doute de la science; et en effet, nous croyons qu'aux choses qui paraissent probables, mais que nous ne savons pas.
Penser autrement, c'est délirer, parler autrement, c'est s'exprimer en illuminés ou en fanatiques.
Or, ce n'est pas à pareilles gens que la pierre philosophale est promise.
Les ignorants qui ont détourné le christianisme primitif de sa voie en substituant la foi à la science, le rêve à l'expérience, le fantastique à la réalité; les inquisiteurs qui ont fait pendant tant de siècles à la magie une guerre d'extermination, sont parvenus à couvrir de ténèbres les anciennes découvertes de l'esprit humain; en sorte que nous tâtonnons aujourd'hui pour retrouver la clef des phénoménes de la nature.
Or, tous les phénomènes naturels dépendent d'une seul et immuable loi, représentée aussi par la pierre philosophale et surtout par sa forme symbolique, qui est le cube.
Cette loi, exprimée dans la cabale par le quaternaire, avait fourni aux Hébreux tous les mystères de leur tétragramme Divin.
On peut donc dire que la pierre philosophale est carrée en tous sens, comme la Jérusalem céleste de saint Jean, et qu'elle porte écrit d'un côté le nom de Dieu; sur une de ses faces celui d'Adam, sur l'autre celui d'Héva, puis ceux d'Azot et Inri sur les deux autres côtés.
En tête d'une traduction française d'un livre du sieur de Nuisement sur le sel philosophique, on voit l'esprit de la terre debout sur un cube que parcourent des langues de feu; il a pour phallus un caducée, et le soleil et la lune sur la poitrine, à droite et à gauche; il est barbu, couronné, et tient un sceptre à la main.
C'est l'Azoth des sages sur son piédestal de sel et de soufre.
On donne quelquesfois à cette image la tête symbolique du bouc de Mendès; c'est le Baphomet des Templiers, le bouc du sabbat et le verbe des gnostiques ( voir image plus bas ); images bizarres qui ont servi d'épouvantails au vulgaire aprés avoir servi aux méditations des sages, hiéroglyphes innocents de la pensée et de la foi qui ont servi de prétexte aux fureurs des persécutions.
Combien les hommes sont malheureux dans leur ignorance, mais combien ils se mépriseraient eux mêmes s'ils parvenaient à la connaître !
Source : Eliphas Lévi