Voila un extrait de l'ouvrage de Collin de Plancy sur les vampires, daté de 1820
CHAPITRE VII.
De ce qu'il faut croire des Vampires. --Conclusion.
Il peut se faire encore que dans les pays infestés depuis par les Vampires on ait enterré quelque personne vivante, et que cette personne ait trouvé moyen de sortir de son sépulcre. Ce prétendu fantôme se sera montré à sa famille, qui en aura été effrayée, et n'aura pas voulu le recevoir : les amis et tout le village auront éprouvé les mêmes sensations et tenu la même conduite. Les importunités du malheureux spectre en font dès lors tout ce qu'on veut.
Que quelqu'un de ceux qui ont reçu les visites meure de peur ou autrement, voilà tout le pays troublé par une contagion superstitieuse.
En convenant qu'on a exagéré les histoires de Vampires tous les sages écrivains pensent que s'il y en a eu un sur dix qui soit réellement revenu, c'était un homme enterré vivant dans une léthargie.
D. Calmet examine si les Vampires n'avaient pas la faculté de vivre dans leurs cercueils, quoique sans mouvement et sans respiration ; et il ajoute que ce n'est pas cette difficulté qui l'arrête, "c'est de savoir comment ils sortent de leurs tombeaux, comment ils y rentrent sans qu'il paraisse qu'ils aient remué la terre et qu'ils l'aient remise en son premier état ; comment il se fait qu'ils mangent leurs habits, et que cependant ils se montrent toujours habillés ; pourquoi, s'ils ne sont pas morts, ne demeurent-ils pas parmi les vivants ? Pourquoi infester et fatiguer des personnes qui doivent leur être chères, et qui ne les ont pas offensés ? Si tout cela n'est qu'imagination de la part de ceux qui sont molestés, d'où vient que ces Vampires se trouvent dans leurs tombeaux sans corruption et pleins de sang ; qu'ils ont les pieds crottés le lendemain du jour qu'ils ont couru et effrayé les gens du voisinage ? D’où vient qu'on ne remarque rien de pareil aux autres cadavres enterrés dans le même temps, dans le même cimetière ? D’où vient qu'ils ne reviennent plus et n'infestent plus quand on les a brûlés ou empalés ?"
Il ne faut pas s'étonner de toute cette gradation de prodiges. Du moment où l'on voulut bien croire aux Vampires on fut obligé de bâtir leur histoire. Nous ne les connaissons que de loin ; et de mille aventures qu'on pourrait conter sur ces spectres à peine en trouverait-on dix qui aient un peu plus de fondement que les contes des Mille et une Nuits.
Louis XV, voulant savoir la vérité de tous ces faits extraordinaires, ordonna au fameux duc de Richelieu, alors son ambassadeur à Vienne en Autriche, d'examiner exactement les choses, de voir les procès-verbaux, et de lui en rendre compte. Le duc se fit instruire de tout avec exactitude, et il répondit au roi que rien ne paraissait plus certain que ce qu'on publiait des Vampires de Hongrie.
Les philosophes ne se contentèrent pas de cette réponse ; ils observèrent que le duc de Richelieu avait pris ses informations loin du théâtre du Vampirisme : le roi ordonna à son ambassadeur de se transporter sur les lieux où les Vampires exerçaient leurs ravages, et de voir tout par lui-même. Le duc obéit ; et il trouva que tout ce que l'on racontait de ces spectres était généralement l'effet de l'imagination et de la prévention.
On voit à quoi tiennent les certitudes historiques. Si l'on s'était contenté des informations faites de loin, les partisans du Vampirisme s'appuieraient de ces preuves irrécusables, qui n'étaient que des rapports mensongers et des bruits populaires.
D. Calmet, qui était au moins de bonne foi dans sa théologie, et qui rapportait en même temps tout ce qu'il savait pour et contre les Vampires, parle d'une lettre qui lui fut écrite, le 3 février 1745, par le R.P. Sliwiski, visiteur de la province des Pères de la mission de Pologne. Ce sage prêtre avait eu le dessein d'écrire des mémoires sur les Vampires ; mais ses occupations l'en empêchèrent.
Il dit dans sa lettre qu'on doit retrouver dans les registres de la Sorbonne, de l'an 1700 à l'an 1710, deux résolutions qui défendent formellement de couper la tête et de brûler le corps des Vampires. Il paraîtrait, par ces résolutions, que la Sorbonne n'admettait pas cette sorte de spectres, moins crédule malgré son caractère que certains hommes de notre siècle, qui ne peuvent même pas couvrir leur imbécillité de la soutane ecclésiastique.
Le P. Sliwiski disait encore qu'en Pologne on était si persuadé de l'existence des Vampires, qu'on regardait presque comme hérétiques ceux qui osaient en douter. On rapportait des faits que l'on disait incontestables, et l'on citait pour cela une foule de témoins.
"Je me suis donné la peine d'aller jusqu'à la source, ajoute ce prêtre judicieux; j'ai voulu examiner ceux qu'on citait pour témoins oculaires ; l s'est trouvé qu'il n'y a eu personne qui osât affirmer d'avoir vu les faits dont il s'agissait, et que ces faits n'étaient que de pures rêveries et des imaginations causées par la peur et par des rapports sans fondement."
Concluons que toutes ces histoires de fantômes, de revenants, de spectres, de démons, de Stryges, de Brucolaques, de Vampires, méritent plus d'attention que les aventures prodigieuses des Mille et une Nuits et les Contes de ma Mère l'Oie ; mais tout esprit sensé n'ajoutera pas plus de foi à ces Histoires qu'à ces Contes.