Le vin du solitaire Charles Beaudelaire (Les fleurs du mal)
Le regard singulier d'une femme galante
Qui se glisse vers nous comme le rayon blanc
Que la lune onduleuse envoie au lac tremblant,
Quand elle y veut baigner sa beauté nonchalante ;
Le dernier sac d'écus dans les doigts d'un joueur ;
Un baiser libertin de la maigre Adeline ;
Les sons d'une musique énervante et câline,
Semblable au cri lointain de l'humaine douleur,
Tout cela ne vaut pas, ô bouteille profonde,
Les baumes pénétrants que ta panse féconde
Garde au coeur altéré du poète pieux ;
Tu lui verses l'espoir, la jeunesse et la vie,
-Et l'orgueil, ce trésor de toute gueuserie,
Qui nous rend triomphant et semblables aux Dieux !
Réalité des ombres Pierre Reverdy
Dans cet étrange faubourg en pleine ville où le plus obscur travail s'éxécute, personne n'est jamais venu voir. Seul dans la nuit, dans la boueoù tremblent des lumières rouges ou vertes, un certain peuple vit. J'ai compris la fatigue de ces pieds attels au gain, à l'existence.
Dans l'ombre un homme informe ou une femme sans âge cherche, et, sans qu'on puisse savoir de quoi, emplit sa hotte.
Mais une autre, en toilette et sur les talons hauts, préfère le halo des réverbères et se met en valeur. En passantt quelquesfois ces deux êtres se frôlent, sans mépris, car c'est leur vie qu'ils cherchent tous les deux sur ce même trottoir.